Diffraction et photo numérique

J’ai plusieurs fois parlé de la limitation de la qualité des images photographiques par la diffraction lumineuse mais sans entrer dans les détails. A la demande générale de celui qui me l’a demandé, je vais essayer de donner quelques explications pour mieux comprendre pourquoi le photographe numérique doit absolument en tenir compte pour faire de meilleures photos et pour choisir son appareil.

Tache d Airy - Airy discLa première chose à savoir est que la diffraction lumineuse est un phénomène très général et parfaitement naturel. Cela fait longtemps que les scientifiques ont remarqué que -d’un côte- les rayons lumineux sont détournés légèrement quand ils passent dans un orifice très étroit et -d’un autre côté- deux rayons lumineux peuvent interagir l’un avec l’autre à condition d’avoir des chemins très proches ou parallèles. C’est même un élément que l’on retrouve à de nombreux niveaux dans la physique quantique. Quand on combine ces deux phénomènes, on constate que la lumière qui passe par un petit espace (comme celui du diaphragme d’un objectif photographique) que l’on obtient non plus un joli point lumineux bien détaillé, mais une zone circulaire irrégulière que l’on appelle en général une tache d’Airy (similaire à la figure circulaire ci-contre).

En fait, la taille de la tache d’Airy est parfaitement calculable et ne dépend que de l’ouverture du diaphragme par lequel passe la lumière.

diaphragme diamètre du cercle d’Airy
f/1.4 1.9 µm
f/2.8 3.8 µm
f/5.6 7.5 µm
f/8 10.7 µm
f/11 14.8 µm
f/16 21.5 µm
f/22 29.5 µm
f/32 42.9 µm
f/64 85.9 µm

Comme tout cela n’intervient qu’à des échelles microscopiques, on pourrait penser que cela n’a pas d’importance. Mais il y a une difficulté supplémentaire pour le photographe numérique : les capteurs d’images sont bel et bien des objets qui travaillent à ces échelles. Par exemple, voici quelques tailles de pixels sur des capteurs courants :

  • Capteur APS-C (rapport 1:1,5 / reflex Sony) de 6 méga-pixels : 8 µm
  • Capteur APS-C (rapport 1:1,6 / reflex Canon) de 8 méga-pixels : 6,5 µm
  • Capteur APS-C (rapport 1:1,6 / reflex Canon) de 12 méga-pixels : 5,3 µm
  • Capteur Full Frame de 12 méga-pixels (Canon 5D) : 8,5 µm
  • Capteur Full Frame de 24 méga-pixels (Sony Alpha 900) : 6 µm
  • Capteur 1/2,5″ de 8,2 méga-pixels (compact HP Photosmart R937) : 1,7 µm

Comme vous pouvez le voir, tous les appareils photo ne sont pas nés égaux. A nombre égal de pixels, les capteurs Full Frame ont des pixels notablement plus grands que leurs collègues APS-C meilleur marché et ceux des appareils compacts passent directement dans une catégorie en dessous. Mais je n’ose même pas parler des appareils photo intégrés dans les téléphones portables qui vont aux limites de la technologie pour faire des petits capteurs (et des petits pixels).

Quand vous comparez les valeurs de la table de taille des cercles d’Airy et la taille des pixels de votre appareil photo, vous comprenez mieux pourquoi fermer le diaphragme de votre super-objectif n’arrive pas à produire des images super-croustillantes sur votre appareil tout neuf à 12 méga-pixels : un reflex Canon de 12 méga-pixels bute sur la taille de la tache d’Airy dès que vous fermez vers f/5.6 ; les images ne sont pas immédiatement mauvaise, mais les pixels ne sont pas utilisés au mieux. Et souvent, vous ne faites guère mieux qu’avec un appareil de la génération précédente.

Un bon traitement d’image permet de compenser en partie ce problème (comme le phénomène est très prévisible, il est relativement facile à un logiciel de le contrer), mais il y a aussi des limites à ce que peut le firmware de nos appareils. La situation est proprement désespérante avec les tout petits capteurs des appareils compacts et des téléphones. Plus de pixels ne leur servent vraiment à rien en dehors de remplir les cartes Flash.

A l’opposé, les fabricants d’appareils photo se dirigent fermement vers des capteurs plus grands (les capteurs Full Frame) pour compenser ces problèmes. Cela explique la course actuelle vers le Full Frame que l’on observe chez Canon, Nikon, Sony et les autres malgré le coût encore prohibitif des énormes morceaux de silicium qu’il faut pour réaliser le coeur de ces appareils photo.

Bien sûr, cela ne vous interdit pas de fermer le diaphragme pour améliorer la profondeur de champ de votre image, mais retenez les ordres de grandeur des diaphragmes-limites de votre appareil pour ne pas être surpris par la montée de la diffraction sur certaines de vos images.

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Commentaires

5 réponses à “Diffraction et photo numérique”

  1. Avatar de ratatouye
    ratatouye

    Tres bon article qui a le mérite de simplifier un phénomène complexe et que la majorité d’entre nous ne connait pas ou peu ! bravo..

  2. Avatar de Mell

    Bonjour,

    Si je comprends bien, le meilleur piqué pour un 20D est obtenu avec un diaph à 5,6 ??
    Daniel

  3. Avatar de Yves Roumazeilles

    Le meilleur piqué ? Pas forcément parce que ça dépend aussi beaucoup de l’objectif et de sa qualité optique.

    Mais, Daniel, au dessus de f/5.6, c’est vrai que l’on commence à voir le piqué se dégrader. A tout le moins, à partir de là, la diffraction ne permettra plus de profiter de la profondeur de champ et de la pleine résolution du capteur.

  4. Avatar de PeteShifter
    PeteShifter

    Vincent Luc n’a pas la même analyse. Il dit qu’il faut un minimum de 2 pixels pour reproduire un détail (sûrement en rapport avec la matrice de Bayer). Il faudrait donc considérer la taille de 2 photosites pour la comparer au diamètre de la tache.
    Là où mes doutes s’amplifient, c’est qu’il dit que le disque d’Airy a un diamètre de 10,9µm à f/16.
    Sur un autre site, j’ai trouvé qu’à f/1, le diamètre de la tache était de 1,34µm et qu’il fallait multiplier par cette même valeur pour calculer le diamètre au cran d’ouverture suivant. Ce qui, selon mes propres calculs, donnerait 13,9µm à f/16.
    Pourtant, ce lien :
    http://www.cambridgeincolour.com/tutorials/diffraction-photography.htm
    confirme qu’à f/16, le disque fait 21,5µm.
    Pas simple…

    Pour en revenir aux photosites, la calculatrice de diffraction du lien précédent propose cette option « Set Circle of Confusion = Twice Pixel Size? », ce qui semble rejoindre les dires de Vincent Luc. Qu’en pensez-vous ? Pourquoi est-ce une option ? Soit on prend un pixel, soit on en prend deux, pourquoi avoir le choix ?
    Merci.

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