Cet article un effort pour aider au partage de certaines études non-universitaires (provenant d’amateurs éclairés) sur Roumazeilles.net. Nous accueillons ainsi parfois quelques auteurs dont les travaux peuvent présenter un intérêt (ici historique) inhabituel ou simplement original.
Cet article a été écrit au début des années 2000 par Jacques Roumazeilles, notaire et descendant des Lescouzères mentionnés dans le corps de l’article. Il témoigne de son intérêt pour une histoire à la fois familiale et régionale.
Yves Roumazeilles
A la commune de Roquefort, chef lieu de canton des Landes, doit être associé un épisode ancien qui, s’il a procuré pendant quelque temps un élan économique à la région, s’est vite soldé par une déconvenue totale et une ruine pour beaucoup de gens et de propriétaires forestiers. Il s’agit de ce que l’on appelait à l’époque « Les Papeteries de Roquefort« .
A l’origine le massif forestier landais occupait une place prépondérante dans l’économie de la région notamment pour la production des bois de sciage et de « poteaux de mines ».
Restait en suspens le traitement des bois d’éclaircissage qui pouvait apporter une valeur ajoutée non négligeable. D’où l’idée de créer un débouché de pâte à papier et de cellulose.
A cet effet, le 9 février 1926 fut constituée une société civile d’études pour le traitement chimique du Pin des Landes en vue d’obtenir de la cellulose et ses dérivés.
L’âme pensante de cette société fut Mr Tauziède, demeurant à Luxey se qualifiant d’ »Ingénieur civil » et qui amena avec lui divers gros propriétaires forestiers, c’est à dire :
- Dr Jean Dupuy, à Sore,
- Mr Raymond Labbé, à Roquefort,
- Mr Arnaud Labrousse, à Laboueyre,
- Mr Jean Lapeyre, à St Gor,
- Mr Albert Lescouzères, à Mont de Marsan,
- Mr Gaston Lescouzères, à Roquefort, Maire et Conseiller Général,
- Mr Henri Lescouzères, à Villeneuve de Marsan,
- Mr Joseph Navailles, à Roquefort,
- Mr Louis Pesquidoux, domaine de Guirot, à St Justin,
- Mr Pierre Tauziède, ci-dessus nommé,
- Dr Vives, à Saint Martin d’Oney.
Pour asseoir son argumentation Mr Lapeyre faisait valoir les importations très importantes de pâte et de papiers qui en 1925 se chiffraient à 350.000 et 125.000 tonnes. D’autre part les exportations de poteaux de mine, soit 800.000 tonnes, risquaient de subir un affaiblissement du fait que le seul client important était l’Angleterre qui pouvait très bien se retourner sur des marchés plus attractifs des zones scandinaves. Il prétendait que le massif forestier pourrait, quant à lui, fournir plus de 200.000 tonnes de pâte et que l’usine de Roquefort pourrait avoir au début de son activité une production annuelle de 4.000 tonnes.
Pour ce faire, une série d’études et de recherches fut entreprise dont le but était d’arrêter une méthode appropriée pour la réussite d’une industrie nouvelle dans la région. C’est ainsi qu’ils ont envisagé de produire avec le pin des Landes des papiers égaux aux meilleurs papiers d’importations étrangères et à un prix de revient pouvant soutenir une comparaison avantageuse.
Fort de ces arguments, au cours d’une séance du 25 mai 1926, Mr Tauziède réussit à convaincre les membres de la Société Civile de constituer une société anonyme au capital de 8.000.000 (soit 26.7000.000 frs (de 2000) ou 4.070.388 euros) largement suffisant pour assurer la construction, la mise en marche de l’usine et la production journalière de 12/15 tonnes de papier. Le délai de mise en activité de l’usine était prévu à 18 mois.
Dès lors, suivant acte reçu par Me Puyo, notaire à Bordeaux, le 8 novembre 1927 fut constituée une société anonyme sous le nom de « Les Papeteries Landaises ».
Le capital social fut fixé à 8.000.000 anciens frs, divisé en 16.000 actions à souscrire et à libérer en numéraire.
Les fondateurs, tous membres de l’ancienne Société civile, apportèrent le bénéfice de leurs connaissances industrielles et leurs relations commerciales (n’est ce pas un euphémisme ?).
En sus, Gaston Lescouzères apporta la promesse de vente moyennant le prix de 3,50 f. le m² d’un terrain de 3 ha. environ sur la commune de Roquefort lieu-dit Couseillat. Ce terrain avait l’avantage d’être à proximité de la gare de Roquefort, en bordure de la route Bayonne-Bordeaux et contiguë à la rivière L’Estampon permettant l’alimentation en eau pure en même temps que l’évacuation des liquides résiduaires convenablement épurés.
En rémunération de ces apports, il fut attribué aux fondateurs une somme de 120.000 AF et 1.000 parts de fondateurs.
Statutairement, Mr Tauziède fut nommé Directeur général de la société. La répartition des bénéfices était prévue de la manière suivante :
5 % à la réserve légale,
8 % aux actions comme premier dividende,
10 % au Conseil d’administration,
Pour le reste :
70 % aux actions,
30 % aux parts de fondateurs.
Mr Pesquidoux fut nommé ensuite Président du Conseil d’Administration, Mr le Baron de Ravignan sollicité à cette fonction l’ayant déclinée prétextant n’avoir ni le temps, ni les forces physiques, et ne pouvoir ni même vouloir donner des capitaux en plus du versement statutaire. Les autres membres du Conseil d’Administration furent :
- Mr Louis Pesquidoux,
- Dr Vives,
- Mr Edouard Lagarosse,
- Mr Henri Lescouzères,
- Mr Gaston Lescouzères,
- Mr Daniel Lapeyre,
Par la suite furent nommés comme autres administrateurs :
- Mr Routy,
- Mr Garchereux,
- Mr Boullié.
Le capital social de 8.000.000 résultait d’un devis préliminaire pour les différentes dépenses inhérentes à la réalisation de l’objet social, le tout établi bien sûr par Mr Tauziède. Hélas il fallut compter plus de 18 millions de francs (édification-aménagement- agencement-mise en marche).
De plus pour attirer les futurs actionnaires, Mr Tauziède n’hésitait pas à écrire que « suivant les estimations les plus modérées et en tenant compte très largement d’une baisse future considérable du prix du papier, les bénéfices des Papeteries Landaises permettront de servir aux actionnaires un dividende de 20 à 25 % ».
Contrairement à ce qui avait été prévu initialement l’exploitation de l’usine ne démarrera que pour l’exercice 1930. Pour faire face au dépassement des dépenses de première installation, le 27-08-1929 le Conseil d’Administration décida l’émission d’obligations pour un montant de 3.000.000 à 6 %, émission clôturée le 28-12-1930 pour un montant de 1.042.5000 frs. Ensuite, dans sa séance du 28-12-1930 le dit Conseil décida la souscription d’un nouvel emprunt de 20 millions à 3,5 % pour d’abord rembourser le premier emprunt et faire face ensuite aux besoins de la Société.
Malheureusement le placement de cet emprunt n’eut aucun accueil favorable et fut arrêté le 8 juillet 1931 et les administrateurs furent dans l’obligation de supporter des sacrifices financiers.
Devant cette situation causée par une imprévoyance de budget réel établi par Mr Tauziède ce dernier fut démis de ses fonctions par une Assemblée Générale extraordinaire des actionnaires en date du 15 décembre 1930. Il n’en resta pas là puisqu’il assigna par la suite la Société à lui régler le solde d’indemnité de cessation de fonctions et des dommages et intérêts.
Le manque de réserve entraîna la fuite en avant et la recherche de capitaux extérieurs.
Ce fut d’abord la Barclays-Bank qui accorda en 1929 un découvert de deux millions de francs dont elle demanda le remboursement le 24 décembre 1930 avec un terme fixé au 30 juin 1931.
Puis la Banque de France détentrice des actions en garantie des avances consenties. Ensuite le Crédit à l’Industrie Française qui consentit une avance de 3 millions de francs exigible en octobre 1931, le tout bien entendu garanti par la caution de certains administrateurs (Mrs Pesquidoux, Henri et Gaston Lescouzères) et la prise d’inscriptions hypothécaires sur leurs propriétés respectives).
Les déficits comptables ne firent que s’aggraver :
1930 | 2.615.187 |
1931 | 3.124.553 |
1932 (30 sept.) | 9.328.709 (sup. au capital) |
Au 31.12.1930 les administrateurs étaient créanciers de la Société d’une somme globale de 5.405.134 f (18.036.932 valeur 2000 ou 27.497 € ). Il était dû à la même époque :
- 4.205.000 à la Banque de France,
- 27.500 à la Barclays,
- 3.456.000 à Calif.
Cette situation ne pouvant durer, un protocole d’accord est intervenu le 22 août 1933. Il a repris d’abord la séance de L’A.G.O du 29 juillet 1933 constatant une perte globale au 31-12-1932 de 9.328.709 F donc supérieure au capital social; qui ensuite a ratifié les comptes au 31-12-1932 sous réserve d’abandon consenti par les administrateurs de la totalité de leurs avances de manière à ramener la perte encourue à un chiffre inférieur aux 1/3 du capital social. Pour permettre le renflouement de la Société, les administrateurs ont fait abandon pur et simple des avances consenties soit au total 707.050 (23.594.298).
Gaston Lescouzères |
382.667
|
Henri Lescouzères |
254.519
|
Pesquidoux |
54.731
|
Lapeyre |
343
|
Vives |
42.166
|
Lagarrosse |
6.622
|
De plus, Mr Gaston Lescouzères abandonne et remet à la Société 329 obligations de 1.000f qu’il détenait et s’oblige à faire remettre par d’autres créanciers (Mr Bonet – Mr G.Dubruil – Mr Bon) 246 obligations ce qui diminue de 2.796.000 le poste obligations.
A la suite de cette convention et le même jour, le Conseil d’Administration a décidé d’accepter la démission comme administrateurs de Mrs Henri et Gaston Lescouzères et du Dr Vives, et de nommer en remplacement :
Mr le Gl Albert Ducarre dom. à Cormeilles en Parisis (S. et O.)
Mr le Baron Pierre Lambot de Fogères – Paris 15 bis rue de Villejust,
Mr Paul Mangard Paris – 3 rue Cernovitz,
Mr Jean Lamassiaude – Paris – 22 rue Jouffroy
En remplacement de Mr Pesquidoux, démissionnaire, le Général Ducarre a été nommé Président du Conseil d’Administration de la Société.
Suivant décision de l’Assemblée Générale Extraordinaire du 18 septembre 1933 la dénomination de la Société a été modifiée en « Compagnie Française les Bois et Celluloses » avec siège social transféré à Paris – 24 rue des Roches, et la réduction du capital a été décidée sans pouvoir excéder les 4/5 de celui précédent.
Ensuite 7.284 actions de Henri Lescouzères et Edouard Lagarrosse ont été bloquées à la Barclays pour le compte de Mr Lamassiaude en vue de lui permettre d’obtenir la majorité au groupe qu’il représentait.
En 1934, plus rien ne fonctionne. Après le dépôt de bilan, l’usine est rachetée au tribunal le 25-01-1934 par une société fondée en 1925 dont le but est de favoriser l’industrie papetière « la Cellulose du Pin ».
Cette société devient propriétaire des « Papeteries landaises » dont le nom désormais sera « Société des Papeteries de Roquefort ». La Cellulose du Pin est alors dominée par le Groupe Saint Frères.
Vers 1955, ce groupe est remplacé à la direction des Papeteries par la Société Saint-Gobain qui depuis a fusionné avec la Société Métallurgique de Pont à Mousson.
La Cellulose du Pin possède 4 usines dans le massif forestier landais : Bègles – Facture – Roquefort – Tartas.
En 1969, la Société des Papeteries de Roquefort est dissoute et son actif est porté au crédit de la Cellulose du Pin.
Au départ, l’usine employait 80 personnes pour atteindre le seuil de 500 employés, ce qui n’a pas manqué d’apporter un essor économique très important à la région.
Et les actionnaires ?
Bien qu’au départ il était prévu un dividende mirobolant de 20 à 25 %, les pertes accumulées durant tous les exercices n’ont pas permis de distribuer un seul dividende et les actionnaires ont été résolus à constater que la valeur de leurs actions étaient réduites au néant.
Quant aux fondateurs qui avaient apporté leur caution hypothécaire, leurs propriétés furent respectivement vendues à la barre du Tribunal de Mont de Marsan les 8 juin et 2 novembre 1933 en ce qui concerne le Domaine de Guirot de Mr Pesquidoux (1150 ha), les 27 juillet 1933, 25 janvier et 12 février 1934 en ce qui concerne les propriétés de Mr Gaston Lescouzères (930 ha) et 21 juin 1934 en ce qui concerne Mr Henri Lescouzères (750 ha) et Mr Lapeyre (1800 ha).
Sud Ouest : un demi-siècle de papeterie
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